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Face au mépris de classe banalisé des élites, Elodie Collin fait porter la parole des couches populaires et leur donne les moyens d’une plus grande visibilité. Sans complaisance, ni dévaluation, son travail vidéo et photographique restitue leur environnement quotidien, recueille leur témoignage et exprime leurs affects, souvent désabusés. Ses portraits et autoportraits interrogent ainsi les déterminismes qui président à la construction de l’identité, et la façon dont les modes de vie contemporains brisent des trajectoires ou conduisent à l’échec. D’apparence documentaire, son réalisme porte néanmoins la marque de la subjectivité de l’artiste qui s’inspire de son propre vécu et n’hésite pas à se mettre elle-même en scène. En se présentant comme l’exemple d’une identité singulière qui résiste aux déterminismes de sa condition sociale, elle indique ainsi la voie d’une possible émancipation des existences individuelles, ici proprement sublimées par l’art. 

 

A l’heure où le narcissisme trouve dans les technologies numériques un puissant moyen de s’exacerber, Elodie Collin réactive les codes de la représentation de soi pour sensibiliser à des situations de précarité (sociale, économique, et a fortiori existentielle). Sa série photographique De moi, sans vous rassemble des autoportraits pris dans lieux ordinaires, familiers de l’artiste, le plus souvent choisis au cœur du paysage urbain (HLM, tunnel, aire de jeux, chantier, souterrain…). Elle y incarne un personnage symbolique, porte-voix d’une middle-class résignée, qui se sent aussi impuissante que sacrifiée sur l’autel de la globalisation. Son expression mélancolique (regard de biais, plongé dans le vide ou inquiet) est à l’image des lieux qu’elle occupe (des impasses, des pièces closes, des angles morts, le bord d’une rivière…), tous symptomatiques d’une désillusion, sinon d’une fatigue, propre à l’époque. A ces figures de l’échec, elle oppose cependant celle d’une femme assumée et autonome. Le soin apporté à sa tenue et à sa pose confère ainsi une dignité nouvelle aux sujets populaires, et travaille à revaloriser le regard que l’on porte sur eux. 

 

Ses portraits vidéo témoignent également d’espoirs déçus, à travers le récit fragmenté de trajectoires de vie sinueuses, qui négocient en permanence entre choix personnels, accidents de la vie et déterminismes sociaux. Avec lucidité et réalisme, elle donne la voix à des proches, à des connaissances ou à ceux qu’elle a rencontrés, qui affichent leurs doutes et leurs regrets, comme leurs rêves et leur volonté de s’en sortir, à l’image de Familière, un entretien avec sa mère dans laquelle cette dernière confie ses ses complexes, ses difficultés à communiquer ou ses doutes sur sa parentalité. A travers la confession et le regard introspectif, Elodie Collin dresse le portrait d’une classe dominée par un sentiment d’inertie, dont elle conteste la dimension fataliste. Le traitement romantique qu’elle emploie, notamment dans ses photos, semble en effet renouer avec le goût de l’idéal, comme pour mieux donner des raisons d’espérer malgré tout un changement de vie, et à la nécessité de croire en soi pour l’impulser. 

 

Florian Gaité 

Critique d'art (France culture, Artpress), Doctorant et Professeur en Philosophie ( Paris VIII, Sorbonne/CNRS)

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© 2018 by Elodie Collin

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